A GAUCHE
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Le suicide des baleines

par Bernard LANGLOIS (Politis)

2006

On sait que, pour des raisons obscures, les baleines parfois se suicident. On les retrouve, agonisantes, échouées sur quelque grève, offrant leur corps obèse à la curiosité des foules ébaubies : que la baleine est triste à voir sur la plage où elle vient mourir (je sais : le « suicide » des baleines a sans doute plus à voir avec le réchauffement climatique qu’avec un supposé désespoir ; cet anthropomorphisme n’est venu sous ma plume que pour faire image …) !

Ainsi, comme la baleine, le Parti communiste français a choisi de se suicider. Et il entraîne, dans sa disparition programmée, celle des espoirs nés d’un rassemblement d’une gauche radicale capable de peser dans le débat de la présidentielle. Une consultation de la dernière chance est certes prévue, ce mercredi, où l’on demandera aux militants communistes de confirmer ou d’infirmer la candidature de Marie George Buffet. Le résultat sera connu en fin de semaine : il ne fait guère de doute. Les rénovateurs du parti, et avec eux nombre de militants connus et inconnus, se seront battus jusqu’au bout pour tenter d’éviter cette issue fatale, en vain. Avec un indéniable talent et des accents de sincérité à vous arracher des larmes, la Secrétaire générale aura jusqu’au bout, sur toutes les tribunes, à tous les micros, affirmé sa volonté d’accoucher enfin de ce rassemblement unitaire antilibéral dont elle proposait, modestement, d’être le porte-drapeau ; tout en sachant fort bien qu’il ne pouvait en être ainsi, que jamais la diversité des composantes du dit rassemblement ne pourrait s’accommoder d’une candidature issue d’un parti — fût-il majoritaire et le partenaire le plus puissant : parce qu’il est le plus puissant et majoritaire ; et encore moins que cette candidature soit celle de la « patronne » de ce parti. Double langage, adossé à de savantes manœuvres de manipulation des comités de base, où des militants encartés et soigneusement conditionnés, surgis de nulle part, sont venus dans la dernière ligne droite voter au canon pour la seule candidate possible aux yeux de l’appareil : Marie George. Restait, en toute candeur, à tirer la leçon d’un apparent bon sens : « La démocratie a parlé, les comités m’ont désigné, qu’y puis-je ? » Dans une ultime concession illusoire, on va donc faire revoter le parti, qui confirmera la vox populi. Puis, parenthèse refermée, le PCF entrera en campagne ; et les comités chercheront à sauver ce qui peut l’être : pas grand-chose en l’occurrence. Pour l’immédiat de la présidentielle.

Pèse toujours cette vieille fatalité sur tous les efforts de recomposition d’une gauche française digne de ce nom : on ne peut rien faire sans le PCF ; mais on ne peut rien faire non plus avec lui. Rideau.

LEÇONS

. La période qui se clôt ainsi (provisoirement), née dans l’euphorie de la campagne unitaire du référendum et de la victoire du non, qui est apparue porteuse de tous les espoirs, est riche d’enseignements.

— Et d’abord, le succès des rassemblements unitaires : les grands meetings, les salles bourrées de monde et d’enthousiasmes ; les débats passionnés des collectifs, in vivo et sur le net ; les acquis programmatiques de cette période militante très riche. Tout cela est engrangé et ne sera pas perdu — même si c’est rapé pour la présidentielle (le rendez-vous le plus difficile par nature), suivent des législatives, des municipales …

— Ensuite, le grand trouble qui agite le PCF : la ligne imposée par l’appareil est très loin de passer comme une lettre à la poste. En témoignent notamment les démissions de Zarka, Martelli et quelques autres du Comité exécutif, qui dénoncent « les réflexes régressifs resurgis à l’intérieur du parti (qui) mettent en cause l’unité des communistes » ; ou encore, la lettre de quelques vieux « historiques » (Séguy, Sève, Ralite, Mazauric, Simon), appelant leurs camarades à ne pas se bloquer sur la candidature Buffet et à « assurer autrement, à moindres risques, la tenue du cap décidé en commun » ; et les nombreuses pétitions, adresses, messages surgis de partout. À l’inverse, de vieux relents de stalinisme remontent aussi des profondeurs, comme l’accusation d’anticommunisme (envers ceux qui ne sont pas au PC) ou de traîtrise (pour ceux qui y sont) à l’adresse des réfractaires à la ligne juste : l’illustre bien la pitoyable polémique autour de la couverture du mensuel Regards (une représentation de la Scène, où les visages des différents acteurs du rassemblement unitaire figurent sur les corps des apôtres, et où, « par intention maligne, par dénigrement », assurent les partisans de la Secrétaire générale, la frimousse de Marie George a été placée sur le corps de Judas ! Shame and scandal in the family !) (1). Il sera difficile de mobiliser pour une campagne communiste pur sucre … En fait, une majorité de communistes n’ont pas encore compris ce qu’il y aurait eu à gagner — y compris pour leur parti, le plus fort et le plus organisé des partenaires du « rassemblement unitaire » —, à renoncer au passage en force : sans rêver tout debout à une présence au second tour, un probable score à deux chiffres à la présidentielle aurait créé une position de force, oubliée depuis bien longtemps, pour peser sur la candidate socialiste (qu’il faudra bien soutenir in fine si l’on veut éviter cinq ans de sarkozisme) et la possibilité de belles victoires aux législatives qui suivront, en concurrence avec le PS — et non plus en venant lui manger dans les mains pour s’assurer quelques bastions, comme c’est devenu la règle. C’eût été un choix stratégique essentiel, dont nos voisins allemands et hollandais ont déjà expérimenté la validité. Le PCF préfère le confort de la satellisation au PS, comme déjà le MRG, les chevènementistes et les Verts. Tant pis pour lui (bien heureux s’il atteint les 5 % !) et pour nous tous : la recomposition politique de la gauche finira par se faire ; mais nous ne sommes visiblement pas encore au terme de la décomposition !

ORPHELINS.

Il faut aussi pointer, dans ce marasme, la responsabilité de quelques autres protagonistes. Celle de José Bové, qui semblait pouvoir, grâce à sa popularité (payée cash), à sa « surface » internationale, à son positionnement à la confluence du combat syndical et de la lutte écologiste, être le porte-drapeau le plus efficace pour une campagne unitaire antilibérale : peut-être a-t-il été trop absent ou a-t-il paru trop détaché dans le débat préparatoire, peut-être a-t-il jeté l’éponge trop vite ? De même, le refus de la direction de la LCR de se jeter de toutes ses forces dans la bataille, la mise en avant d’une campagne autonome Besancenot, n’ont guère joué en faveur d’une solution. Mais peut-être ont-ils senti très vite l’une et l’autre, avant tout le monde, que Buffet et l’appareil avait choisi de les « balader », et tous les autres avec … Sauf coup de théâtre de dernière minute dont je serai ravi (mais je n’y crois pas) nous voici donc tous orphelins d’une candidature de rassemblement et de la belle campagne qui pouvait s’y raccorder. Nous aurons quatre, voire cinq candidats à la gauche du grand parti attrape-tout ségoléniste. Comme d’hab’. Comme le ralliement du Che et celui du parti cassoulet à la Pimprenelle sont acquis, même plus besoin d’un vote utile de premier tour. On pourra aller à la pêche (ou voter blanc, ce qui est préférable).

DERIVE SECTAIRE.

Le neuf a décidément du mal à percer. On le constate aussi à Attac, où les vieux enfants qui ont perdu leur joujou s’emploient rageusement à finir de le détruire.

Les élections viennent pourtant de mettre en place une majorité large, et claire — comme on dirait d’une eau — et une direction totalement renouvelée, rajeunie et féminisée. Les sortants ont été sortis, avec leurs méthodes d’un autre âge, leur autocratie, leur hypertrophie de l’ego. La faute inexcusable de la fraude a été lavée dans des urnes enfin propres. La volonté d’une direction collégiale, d’un fonctionnement démocratique et ouvert s’est affirmée, avec la ferme intention de remettre en route une association qui partait en quenouille, minée de l’intérieur, où chacun — collèges, comités et adhérents — pourrait trouver sa place et prendre sa part du travail commun. Mais les (mauvais) perdants ne l’entendent pas de cette oreille : dans quelque fortin extérieur où les voici retranchés, bardés de leurs certitudes en béton, alliés à ce qu’on fait de plus rance dans la mouvance, et non sans s’être munis de quelques biscuits (le fichier, le sigle, le logo) qu’ils utilisent pour nourrir une dissidence de moins en moins masquée — en attendant une scission des plus probables (mais attention : pas trop vite ! C’est qu’il s’agit d’embarquer dans l’aventure le plus grand nombre d’adhérents possible) —, ils répandent sur leur site-vitrine, le bien mal nommé Avenir d’Attac (2) la calomnie la plus sotte (Attac serait, selon eux, tombés aux mains des antirépublicains gauchistes et communautaristes, et pourquoi pas terroristes islamistes tant qu’on y est ?) et le dénigrement systématique : ne vont-ils pas jusqu’à prôner le gel des cotisations, alors que les mieux placés pour savoir dans quelles difficultés financières ils ont laissé l’association ? Ne vont-ils pas jusqu’à organiser des séminaires sur ce qui nourrit, en principe, nos combats communs — l’antilibéralisme — ouvert aux seuls adhérents qui ont voté pour eux ?

Que peut-on contre les dérives sectaires ? Rien. Pas plus que contre le suicide des baleines. Parier sur le bon sens et l’intelligence des gens de bonne volonté. Continuer à tracer son sillon sans s’attarder sur des crachats qui ne souillent que leurs auteurs. Revendiquer comme un bien commun ces valeurs de la République qu’ils s’aliènent sans vergogne, cette laïcité vivante qu’ils momifient dans leurs vieilles bandelettes, ce souci des gens de peu au nom desquels ils prétendent parler. Regretter quelques bons camarades égarés par de pauvres gourous aigris. Et tourner la page.

(1) Sur cette affaire, et plus généralement sur l’ensemble du débat, le site Bellaciao.org offre un incomparable point de vue … (2) À lire sur avenird’attac.net quelques textes édifiants. Pas la peine de tenter d’y répondre, ne passent que les messages de ceux qui se déclarent d’accord avec eux … Plus triste : de trouver, à l’identique, les mêmes calomnies et contrevérités dans Marianne, sous la plume de François Darras (alias JFK), visiblement intoxiqué jusqu’à la moelle par les gourous de la secte. Jean-François, mon bon, tu t’laisses aller !

[ Bloc-notes de Politis, n°931-932, du 21/12/06 ]

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