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Point de vue - Lu dans le Monde du 26-12-2008

Oui à la diversité, mais à toutes les diversités, y compris le handicap.

par Monique Pelletier et Edouard Braine

vendredi 26 décembre 2008

Oui, les Etats-Unis ont un président noir. Pour autant, Barack Obama n’a pas été élu à cause de sa couleur de peau.
Oui, plus de soixante ans auparavant, le président Roosevelt avait exercé la fin de son second mandat présidentiel en fauteuil roulant.
Quant à l’Allemagne, elle a, depuis près de vingt ans, un ministre important en fauteuil roulant. Wolfgang Schäuble, ministre de l’intérieur de la coalition d’Angela Merkel, ne doit aucunement son poste à sa paraplégie, mais à sa constante réélection au Bundestag et à sa brillante carrière ministérielle.

Non, la France n’a aucun élu de premier plan qui soit "venu d’ailleurs" ou "différent" du fait de son handicap. L’ouverture à la diversité, ce chantier nouveau, engagé tout récemment par le président Sarkozy, concerne la diversité ethnique. Et c’est très bien. Quant au handicap, domaine où nous sommes, hélas ! la lanterne rouge en Europe, aucun ministre ne porte un handicap visible, sauf le précédent cruel d’un secrétaire d’Etat chargé précisément du handicap et convaincu de malhonnêteté. Dans la fonction publique, quelques nominations modestes, celle, à Cahors, d’un secrétaire général de préfecture ou, dans le Kurdistan irakien, d’un consul, tous deux en fauteuil roulant, ont été accueillies comme de véritables "novations".

Chez nous, la non-conformité à la norme, qu’il s’agisse de couleur de peau ou d’apparence et de comportements différents, suscite encore des réactions de gêne, de rejet ou d’hostilité plus ou moins avouées.

Pour autant, discrimination raciale et ostracisme envers le handicap relèvent de logiques distinctes. Racisme, colonialisme et antisémitisme ont été les enjeux de combats politiques. Rien de tel pour les handicapés. D’où vient cette "marginalité aggravée" dont souffre en France le handicap ? Comment expliquer que la patrie des droits de l’homme affiche un retard important sur tous ses voisins et même sur l’Espagne franquiste, dont la législation en matière d’accessibilité des bâtiments et de la vie quotidienne remonte à 1939 ? Comment comprendre le décalage total entre, d’une part, l’excellence de notre médecine et de notre système de protection sociale, ou encore le succès des campagnes caritatives et, d’autre part, le désintérêt dont fait l’objet le handicap ?

Les parents d’enfants trisomiques et autistes savent la quasi-impossibilité de donner à leurs enfants une scolarisation réelle et recherchent des solutions en Suisse, en Belgique ou dans les pays nordiques. Les personnes gravement handicapées psychiques représenteraient 40 % des sans-domicile-fixe et plus de 30 % des détenus, car la fermeture des asiles psychiatriques n’a pas été suivie de la création de centres ouverts susceptibles de prendre leur relais.

Pour la "très grande dépendance" nécessitant une prise en charge intégrale, aucune offre suffisante de solutions n’existe en France. Les familles concernées qui en ont les moyens font soigner leurs infirmes majeurs hors de France. Les usagers de fauteuil roulant ayant la chance de voyager en Europe savent qu’ils peuvent prendre un bus ou un taxi à Londres, mais pas à Paris. S’ils sont adeptes des bains de mer, ils choisiront les plages d’Espagne, dont l’accès est systématiquement aménagé.

Les indicateurs statistiques concernant l’accessibilité, le taux d’emploi, la scolarisation ou les études supérieures, en un mot, l’intégration des personnes confrontées au handicap au sein de la cité, confirment l’existence d’un "problème français". Une explication serait que notre approche universaliste des droits de l’homme ait débouché sur une difficulté à offrir un traitement catégoriel à certains. Un "intégrisme de l’égalité" a conduit à un refus absolu du communautarisme et de toute discrimination positive.

Réputés égaux en droit avec les autres citoyens, 5 % à 8 % de nos compatriotes, directement touchés par le handicap, ne sont ni bien organisés ni jusqu’à présent relayés par des porte-parole à la dimension de leur importance numérique. Marginalisés, souvent divisés en fonction des catégories de handicap, affiliés à des associations concurrentes qui se disputent subventions et bonnes grâces gouvernementales, ils paraissent globalement résignés à une prise en charge où l’assistanat s’accompagne d’un discours compassionnel commun à beaucoup d’acteurs de la vie politique.

QUESTIONS ICONOCLASTES

Le phénomène du handicap, porteur d’images de faiblesse, de difformité, voire de mort, est gênant pour une société qui répugne à le voir et à le connaître. Il souffre de deux dialectiques négatives, marginalise les personnes handicapées, voire légitime leur exclusion : la première illustre le paradigme hégélien du maître et de l’esclave, où les exclus s’accommodent de leur statut d’assistés ; la seconde découle de la difficulté que nous éprouvons en France à prendre en compte concrètement le handicap : nos villes, nos équipements publics, nos écoles et universités, nos moyens de transport étant largement inaccessibles aux personnes handicapés, celles-ci ne sont guère visibles. Leur absence physique (et électorale) justifie leur oubli...

L’indispensable changement de regard et d’attitude passe par une meilleure connaissance du handicap. Et des questions iconoclastes méritent d’être posées : quelle réalité recouvre le vocable général et vague de "handicap" ? N’y aurait-il pas lieu d’introduire des distinctions permettant de différencier le traitement des problèmes, selon la capacité d’autonomie des personnes concernées ? Ces personnes, victimes d’un handicap mais autonomes ne devraient-elles pas être réellement intégrées à notre vie sociale, professionnelle et politique, sans que cela pose problème ?

Comment surmonter la segmentation du traitement de ce dossier que se partagent quelques grandes associations regroupant les victimes du handicap par pathologies et, à côté, un trop grand nombre d’instances étatiques et territoriales aux pouvoirs et aux moyens dispersés ? Comment, enfin, éviter que la départementalisation de ces affaires ne s’accompagne d’une différence de traitement au gré des conseils généraux, sans réelle cohésion politique d’ensemble ?

Le chantier du handicap demeure donc en friche sans que les ambitions affichées par le législateur en 2005 et dans le discours présidentiel du 10 juin aient débouché sur un changement des mentalités et des comportements. En vue de rattraper notre retard, le Conseil national handicap joue un rôle de laboratoire d’idées dans la réflexion collective qui s’impose sur un grand sujet de société que le vieillissement de la population ne permettra pas d’éluder éternellement.


Monique Pelletier, présidente du Conseil national handicap, administratrice du Conseil national handicap et ancienne ministre

Edouard Braine, Avocat au barreau de Paris

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